- PESTE (iconographie)
- PESTE (iconographie)PESTE, iconographieLa peste est une de ces maladies mortelles de caractère épidémique qui, par leur violence soudaine et inexpliquée et le nombre de leurs victimes, ont frappé les imaginations. Réalité tragique bouleversant les structures et les valeurs sociales, elle a sévi dans les pays du pourtour méditerranéen et touché l’Europe occidentale de façon chronique, de la Peste noire de 1348 (qui a pu tuer près d’un tiers de la population totale de l’Europe) à la dernière grande flambée de 1720. Elle a pris place dans les arts figuratifs de trois manières. Ce sont d’abord des images, souvent spectaculaires dans leur naïveté, des flèches de la peste, lancées par Dieu ou l’un de ses anges contre les humains (anonyme allemand, 1424, Niedersächsisches Landesgalerie, Hanovre; M. Schaffner, 1510 env., Germanisches National Museum, Nuremberg), et cette iconographie a des prolongements tardifs (Élie Delaunay, La Peste à Rome , 1869, musée d’Orsay, Paris). Ce sont ensuite des images terrifiantes des effets de la maladie, souvent traitées en un style contrasté, ténébriste: Saint Roch guérit les pestiférés de Tintoret, 1549, église Saint-Roch, Venise; A. Zanchi, La Peste à Venise , Kunsthistorisches Museum, Vienne, esquisse de la toile de la Scuola di San Rocco à Venise, 1666; David, Saint Roch intercédant auprès de la Vierge pour la guérison des pestiférés , 1780, musée des Beaux-Arts, Marseille. Par ailleurs, la crainte de la peste a engendré des images votives, propitiatoires ou commémoratives. Les unes représentent des saints protecteurs «spécialisés», tels saint Sébastien et saint Roch. Le succès de saint Sébastien, soldat chrétien ayant survécu au supplice des flèches, ne se dément pas à partir du XVe siècle, et il n’est guère de peintre qui n’ait eu à exécuter au moins un portrait du saint, guère d’église qui n’ait possédé sa statue ou son image peinte. Saint Roch, mort à Montpellier vers 1327, et qui avait soigné les pestiférés lors d’une épidémie à Plaisance, le concurrença dans son rôle de thaumaturge, surtout après que la puissante confrérie placée sous son patronage à Venise eut réussi à s’approprier ses reliques (1485); dans l’iconographie la plus répandue, le saint, qui fut lui-même atteint de la peste et en guérit, écarte son manteau pour montrer un bubon sur sa cuisse. D’autres images montrent de dévots personnages qui ont intercédé pour qu’une ville soit épargnée ou rapidement guérie (Le vice-légat Frédéric Sforza confie Avignon au bienheureux Pierre de Luxembourg , lors d’une attaque de la peste en 1641, de Nicolas Mignard, musée Calvet, Avignon, ou Les Consuls de Narbonne implorant saint Sébastien , anonyme, 1603, musée de Narbonne); ou encore des personnages qui ont fait preuve d’un dévouement admirable lors d’une épidémie: Saint Louis à Tunis en 1270 (tableaux de Louis Licherie, vers 1678, musée des Beaux-Arts, Rouen, et de Louis Testelin, musée de Peinture et de Sculpture, Grenoble), saint Charles Borromée à Milan en 1576, dont le succès iconographique fut considérable durant toute l’époque baroque, et son neveu Frédéric Borromée dans la même ville en 1630, Mgr de Belsunce à Marseille en 1720, voire Bonaparte en 1798-1799 (Les Pestiférés de Jaffa de Gros au Louvre). Les artistes ont mis en images divers récits: bibliques, comme la peste qui frappa les Israélites, relatée à la fin du livre de Samuel (La Peste d’Azoth de Poussin, 1630, œuvre contemporaine de la grande épidémie qui dévasta les villes d’Italie du Nord, musée du Louvre); légendaires, comme celle qui oblige Énée et ses compagnons à fuir Pergamée en Crète (gravure de Marcantonio Raimondi d’après Raphaël, vers 1512, avec citation du vers 140 du chant III de l’Énéide ); relatées par des chroniques, comme celle de 590 à Rome au cours de laquelle le pape Grégoire Ier fit faire des processions rituelles dans la ville (enluminures des Très Riches Heures du duc de Berry , avec la particularité du clerc qui s’effondre, frappé, en pleine cérémonie, musée Condé, Chantilly, vers 1415); ou comme celle de 1348, si meurtrière en Toscane, qui sert de toile de fond au Décaméron de Boccace (par exemple, la vue de Florence enterrant ses morts, dans le frontispice de l’exemplaire manuscrit du Décaméron que posséda Colbert, Bibliothèque nationale, Paris). À Naples, Micco Spadaro a peint La Piazza del Mercatello à Naples durant la peste de 1656 (Museo di San Martino, Naples). Le Marseillais Michel Serre, témoin actif de la peste de 1720 comme commissaire de son quartier Saint-Ferréol, est parti de son observation tout en incluant des topoi littéraires comme l’enfant cherchant le sein de sa mère morte ou les personnages se bouchant le nez en s’approchant des cadavres épars dans les rues (Vue du cours pendant la peste , Vue de l’hôtel de ville pendant la peste , musée des Beaux-Arts, Marseille; Épisode de la Tourette , 1721, musée Atger, Montpellier). En dehors des commandes artistiques suscitées par un vœu, dont les « colonnes de la peste» (plus de deux cents recensées en Autriche, dont la plus célèbre fut érigée sur le Graben à Vienne en 1692 et comporte une effigie hideuse de la Peste terrassée) et des églises construites en remerciement (le Rédempteur en 1576 et la Salute en 1630 à Venise), la peste semble bien être à l’origine de formes iconographiques comme la Vierge au manteau (protégeant à l’origine les fidèles des flèches de la peste: Louis Bréa, couvent dominicain de Taggia) ou les danses macabres (pour certaines des plus anciennes de ces peintures murales, la commande a coïncidé avec une flambée de peste et servait à rappeler l’égalité de tous devant cette forme de mort quasi subite).
Encyclopédie Universelle. 2012.